Parole Conteuse et Pédagogie

Cercles de la Parole Conteuse - Carnet de bord des cercles
Parole conteuse et pédagogie scolaire

Cercles de la Parole Conteuse- Compagnie Conte

Lors de notre 2ème Comité de partage dans le cadre de la réalisation des Cercles, la présence de Laurent Harduin, conseiller pédagogique, départemental DSDEN.05, référent musique et pratiques artistiques nous a donné le temps d’un passionnant échange, très constructif où l’espace de la pratique artistique et l’espace de la pédagogie scolaire ont pu s’identifier dans leurs spécificités et se repérer comme complémentaires.

Notre repère de fond à Compagnie Conte est le suivant : nous n’avons pas à apprendre à l’enfant à raconter. Par contre nous avons la responsabilité de le nourrir et ce sera de la qualité de cette nourriture que l’enfant développera spontanément ses capacités ou les laissera en jachère.

Nous partons de cette observation : les adultes n’ont pas besoin d’apprendre à un enfant, à téter, à digérer… puis à se tenir assis, à marcher puis à parler, etc. car ces compétences lui sont naturelles, hors difficultés particulières bien sûr.

L’appétence de l’enfant à écouter des récits et à en raconter est tout aussi naturelle car l’être humain en a fondamentalement besoin pour élaborer son humanité.

Bien évidemment, la durée et la répétition sont nécessaire et nous observons que 10 séances sont une belle amorce mais insuffisante pour que sur un groupe classe de 26 élèves chacune ait eu le temps d’appropriation. Nous démarrons avec des enfants n’ayant aucune pratique de la parole conteuse même s’ils ont, bien évidemment, d’autres pratiques d’oralité par ailleurs.

Afin que cet élan naturel à raconter soit favorisé, avant la première séance, nous demandons aux enseignantes que soient respectés plusieurs repères dont certains peuvent apparaitre incompatibles avec la pédagogie scolaire mais qui, une fois partagés et réfléchis avec discernement se retrouvent être complémentaires :

- L’enseignante garde toute autorité sur sa classe et l’artiste conteuse a la responsabilité de la menée du Cercle. À tout moment, l’enseignante peut poser question, intervenir auprès de ses élèves. Avant et/ou après chaque Cercle enseignante et artiste peuvent se concerter afin de s’ajuster.

- L’enseignante participe au Cercle sur les mêmes bases que les enfants. Nous avons constaté que plus l’enseignante ose s’y essayer, plus les enfants s’y lancent avec plaisir et surtout confiance. Le fait d’éprouver que ce n’est pas si facile pour leur enseignante et aussi que celle-ci partage son plaisir de l’expérience, instaure une très belle dynamique sur tout le groupe. Sur un seul Cercle, une enseignante ne disait absolument rien et nous avons constaté comment son attitude a pesé et freiné la participation des enfants.

- L’enseignante ne fait passer aucune évaluation pendant les 10 séances et jamais ne demande qu’un enfant prenne la parole, et nous non plus. Même lorsque nous faisons tourner un son, un grommelot, chacun est libre de dire « Je passe ». La non évaluation est ainsi posée et appréciée par les enfants !

- L’enseignante exerce toute sa compétence pour observer les retombées de notre pratique. Nous entendons souvent :

« Cet élève ne parlait pas et là, je le découvre. Elle a pris de l’assurance, de la confiance. Etc. ». Ces observations/évaluations sont du ressort de l’enseignante, pas de l’artiste.

- L’enseignante n’utilise aucun des contes donnés au sein des Cercles lors de son enseignement en classe. Bien sûr, elle comme les enfants sont libres de raconter lors de la récréation ou chez eux et nous avons entendu que cela s’est fait spontanément et en très grande majorité. Une enseignante a partagé avec sa classe que pour aider son fils malade elle lui avait raconté tous les contes du Cercle. Cette envie spontanée vient confirmer ce besoin vital de partager ces récits qu’en grande majorité les parents ne connaissaient pas. L’enfant fait l’expérience de savoir transmettre un récit solidement construit et porteur de sens qui déclenche l’intérêt chez les autres. Il nous semble primordial que les enfants vivent cette expérience de partage qui leur transmet confiance, reconnaissance, capacité de transmettre, d’être écouté avec intérêt dans l’espace familial et amical.

- Ni l’enseignante, ni nous, ni les autres enfants ne corrigent celle qui s’est lancée à conter. C’est particulièrement important pour cette parole conteuse. En effet, elle émerge pour une part seulement de la mémoire mentale mais surtout des mémoires émotionnelle, sensorielle et imaginative issues de l’apparition des images intérieures. Si nous interrompons l’enfant (comme l’adulte d’ailleurs !) pour corriger une erreur de vocabulaire, de syntaxe, de grammaire, cela coupe l’accès à sa parole conteuse : soit il s’arrête, soit il continue mais avec un appauvrissement car il se met alors à énumérer sans plus aucune saveur et surtout plaisir, l’effort devient uniquement mental. Nous avons observé cela car certains enfants sont très rapides « à faire l’enseignante » pour corriger l’autre !

- L’enseignante peut participer aux moments spontanés de conversation. Deux enseignantes (CE2) nous ont dit par contre qu’elles se gardaient d’intervenir car elles avaient observé que dès qu’elles intervenaient les enfants se taisaient ayant intégré « La maitresse elle sait, je n’ai plus rien à dire ». Pour elles, c’était une occasion précieuse car rare de les entendre exprimer leurs pensées, leurs questionnements. Cela dit, d’autres enseignantes s’y sont prêtées en partageant leurs questions, leurs pensées ou témoignant d’une expérience personnelle.

Ce temps particulier que nous donnons lors des Cercles pour que s’exprime la capacité de chacune à entrer en relation avec sa propre parole au sein d’un récit construit avec une orature riche et vivante sera évidemment bénéfique à bien d’autres apprentissages scolaires. L’enseignante et l’élève l’ayant partagé, elles pourront revenir la solliciter.

La pratique des Cercles est-elle éducative ?

Dans notre 21ème siècle, les nombreuses technologies dites de communication développent très peu l’espace où la parole s’éprouve dans la réaction directe avec celui à qui l’on parle. À l’inverse, les Cercles préservent et développent ce possible où la parole s’éprouve et s’élabore en direct permettant d’y vivre émotionnellement une rencontre qui enracine la confiance et une légitimité profonde et intime.

Si éduquer est pris dans son étymologie latine d’educare « élever, nourrir » alors les Cercles sont éducatifs. A notre place d’artiste conteuse, c’est cette dimension de soutien et de révélation de la subjectivité sensible de chacun que nous avons à cœur de transmettre comme une des richesses immatérielles sur notre chemin d’humanité.

Dans l’audio, vous entendrez :

- La Conteuse, qui lors du premier partage d’un conte, déploie certaines particularités de la parole conteuse pour solliciter à la fois une participation chorale et faire advenir le temps nécessaire, par les suspensions, pour que les images se forment en chacun.

- Un enfant se lance pour la première fois et on entend la concentration que cela exige pour lui. La demande de la conteuse aux autres enfants de ne pas parler à sa place et de lui laisser le temps, déclenche une libération quand il reprend car sa parole est alors bien plus vibrante, le plaisir est là.

- Un enfant se lance à conter puis ne sait plus. La conteuse verbalise que c’est « Ok » et donne la parole à un autre qui recommence du début et va jusqu’à la fin. Le fait de ne pas demander au second de continuer est important car chaque personne a ses propres images et sa parole s’enracine dans la continuité qui crée la cohérence. Autre chose remarquable : la conteuse n’a jamais parlé d’un « navire naviguant » mais d’un « radeau filant sur les eaux du torrent », le « navire navigant » est une invention du premier enfant qui s’est arrêté et le second s’en saisit (l’allitération attrape l’oreille !) et le garde jusqu’à la fin du conte. Un bel exemple de la transmission et de l’enrichissement de la parole conteuse.