La Parole Conteuse

Cercles de la Parole Conteuse - Carnet de bord des cercles
La Parole Conteuse

Au sein des multiples formes que peut prendre l’oralité (lecture, récitation, théâtre…), la Parole Conteuse a des spécificités qui concourent à une forme particulière de partage, de transmission et d’appropriation.

Cette parole contemporaine s’enracine dans le corps et la voix de l’artiste, dans les mots qu’elle a travaillé par l’orature, pour qu’ils mettent en vie cette rencontre entre l’intime et l’universel à travers les contes dits traditionnels.

Le conte porté par la parole conteuse est alors reçu par le corps, la sensorialité, les émotions, le mental et l’intelligence symbolique car chacun entend le conte dans la résonance intime et subjective de son histoire personnelle.

Les Cercles menés auprès de groupes d’adultes (Maison de retraite et Foyer de vie handicap) n’ont pas pu développer cette dimension où une personne s’essaie à conter. (Cf. Article « Les 5 Cercles hors milieu scolaire »)

Ce qui suit, relate l’expérience auprès des enfants et des adultes accompagnantes en milieu scolaires.

Avant que les participantes se lancent à conter, nous leur avons indiqué qu’il ne s’agissait pas de nous copier mot à mot comme lorsqu’on redonne un texte écrit que l’on a mémorisé mais de laisser venir en elles, les sensations, les émotions, les images et les mots qui se présenteraient car de là viendrait leur parole conteuse.

Souvent les premiers essais étaient une énumération de l’enchaînement des différentes séquences (cause/effet) avec l’observation de ce qui leur manquait. En général, les enfants ne regardaient personne ou s’accrochaient à un regard qui les écoutait, souvent le nôtre ; ils étaient dans un engagement total, une haute concentration avec les petits gestes activateurs de mémoire ; ils posaient des silences pour se donner le temps que l’image se forme et que les mots viennent ; ils se reprenaient spontanément sur certaines choses ou maintenaient un mot inadéquat sans l’entendre car leur élan était ailleurs ; s’apercevaient plus loin dans le conte qu’ils avaient oublié une séquence nécessaire et la donnaient en la replaçant dans son contexte…

Puis de reprise en reprise, le conte se peaufinait, et la parole de chacun se révélait dans sa particularité, certains enfants osant d’emblée introduire une variante sur des personnages ou des motifs.

Nous avons eu aussi plusieurs enfants qui dès leur premier essai attrapaient à la fois la structure et une parole rythmique, joueuse avec un mélange entre la reprise de nos mots/images et l’ajout des leurs. Ils exprimaient un grand plaisir à l’offrir à l’écoute des autres.

Nous avons mesuré à quel point cette pratique des Cercles était, pour plus d’une participante, un acte périlleux :

« Me lancer à parler sans avoir appris et répété, sans savoir comment je vais le dire… Je ne l’ai jamais fait, je ne sais pas le faire… »

Les adultes accompagnantes ne se sont pas toutes lancées, nommant que pour elles aussi, ce n’était pas facile et qu’elles se rendaient compte d’une absence totale de pratique.

L’écoute entre eux était très souvent surprenante dans sa qualité et sa durée car soutenue par la curiosité de découvrir l’autre dans sa parole conteuse, les nouvelles versions qui naissaient de l’appropriation et d’engranger ce qui plaisait dans la parole de l’autre.

Cette reconnaissance mutuelle est un point de levier de la parole conteuse qui est une pratique relationnelle avant toute chose : j’ai besoin d’être écouté pour que mon conte existe, que j’existe à travers lui et que nous vivions ensemble avec lui.

Cette expérience des 12 Cercles a conforté notre sentiment du bien-fondé de la Parole Conteuse pour la menée de ces Cercles. Elle éveille en nous l’évidence de notre capacité à être joyeusement acteur de notre parole, au sein de récits qui mettent en jeu nos chemins d’humanité.